Ne sachant pas trop quelle forme devait prendre ce dossier, je me suis inspirée de dossiers préparés pour l’agrégation de physique. J’ai choisi de présenter ce dossier sous forme d’un texte classique, avec quelques illustrations. Je l’ai un peu regretté au moment de préparer ma présentation, puisque le dossier est la seule chose qui est projeté pendant la présentation, et qu’un gros paragraphe compact ce n’est pas terrible à présenter à l’oral. Peut-être que j’aurais dû faire pour chaque partie un encadré contenant un mini-résumé sous forme de points clé sur lequel je me serai appuyée pour la présentation.
Voici mon plan :
I. Parcours professionnel (une page). J’y ai mis, avec une présentation sous forme de CV, mes expériences professionnelles et ma formation.
II. Compétences transverses : apport d’une reconversion (une page). Après avoir brièvement évoqué les raisons pour lesquelles je me suis reconvertie d’ingénieure à enseignante, j’explique que ma première vie professionnelle m’a quand même apporté des compétences utiles pour l’enseignement des mathématiques :
- la capacité à adapter son discours au public : j’ai parlé des fois où j’ai présenté mes travaux de recherche au grand public.
- l’importance du travail en équipe : J’ai expliqué que mon expérience précédente pouvait aussi parfois être un inconvénient, par exemple que je m’étais trouvée au début en difficulté devant des classes de collégiens car je n’avais l’habitude de présenter que devant un public adulte et que je n’avais pas compris immédiatement la nécessité de poser des limites avec les ados (c’est un peu contradictoire de parler ici des mauvais côtés de mon CV, mais j’ai remarqué que les INSPE aiment bien qu’on parle des difficultés qu’on a eues, de comment on a pu prendre assez de recul pour les identifier puis comment on s’est donné les moyens de les surmonter). Mais comme j’avais appris à travailler en équipe par le passé, j’ai beaucoup travaillé avec mes collègues enseignants, CPE, etc, ce qui m’a permis de trouver des outils pour reprendre ma classe en main. J’ai toujours des contacts dans mes équipes précédentes, ce qui permet de faire venir des chercheurs au collège pour présenter leur recherche, trouver des stages pour les élèves, etc.
- des compétences informatiques.
- une culture scientifique : mon expérience dans le domaine de la physique et du spatial me permet de présenter des applications aux outils mathématiques vus en classe, et des exemples concrets vont être donnés dans la partie suivante.
Cette partie m’a fait beaucoup hésiter car j’avais peur qu’elle fasse trop « blabla d’entretien d’embauche ». Cependant, c’est quand même un peu de ça qu’il s’agit au fond, et les formateurs de préparation à l’agrégation qui ont relu mon dossier ont trouvé qu’elle avait toute sa place ici. Dans la plupart des dossiers, cette partie est à la fin, mais je trouvais qu’elle permettait une meilleure transition vers la partie III qui est quand même le cœur du sujet.
III. Travaux de recherche et propositions d’activités pédagogiques associées (10 pages). J’y présente ma thèse. Comme c’est une thèse en physique, j’ai fait une présentation la plus simple et pédagogique possible, pour que tout le monde puisse comprendre même sans connaissances préalables. Pour chaque partie, j’ai inclus un encadré avec une activité mathématique à faire en classe en rapport avec ce qui venait d’être présenté. Je suis prof au collège donc je n’ai pas voulu faire trop sophistiqué, et j’ai présenté des activités de niveau lycée (et même une de niveau collège parce que je la fais réellement avec mes élèves). Pour ces activités, je me suis inspirée d’activités proposées dans les manuels scolaires et sur les sites de ressources de l’Éducation Nationale (Eduscol et Euler). Il est important je crois de parcourir les programmes pour dire précisément pour quel niveau l’activité est prévu, et même en lien avec quel chapitre elle peut être faite. Il y a trois parties :
1) Le contexte, où je présente la mission spatiale sur laquelle j’ai travaillée, son objectif, le principe de fonctionnement.
Activité mathématiques : les puissances de 10 en classe de 4e/3e. Comme on mesure un signal avec un objectif de précision de 10-15 et que dans le spatial on a affaire à des distances très grandes, la mission peut servir de point de départ pour travailler les puissances de 10 d’exposants positifs ou négatifs. Je donne des exemples d’exercices : Sachant que la précision précédemment obtenue était 10-13, dans quel rapport est-ce qu’on l’améliore ? Calculer la distance parcourue par le satellite pendant la mission.
2) Détermination d’un protocole d’étalonnage en orbite. Dans cette partie je présente l’équation de la mesure de notre instrument spatial, et j’explique que certains termes correspondent à des erreurs déterministes ou aléatoires, et comment est-ce qu’on procède pour étalonner ces termes afin de réduire l’incertitude.
Activité pour la terminale spé maths : erreurs et incertitudes. Une proposition de TP python au cours duquel les élèves modélisent une mesure (d’un signal constant) qui contient une erreur déterministe et une erreur aléatoire. Ils font varier les différents termes d’erreur pour voir l’impact sur l’estimation du signal, voir que plus on mesure sur une durée longue plus l’erreur due à l’aléatoire se réduit. Ensuite on modélise ça mathématiquement par une variable aléatoire et on retrouve la moyenne et l’écart type, le fait que l’incertitude diminue en 1/sqrt(N), on peut réinvestir l’inégalité de concentration etc.
3) Perturbations numériques à considérer lors du traitement des données. Du fait que notre signal mesuré est limité dans le temps, lorsqu’on prend sa transformée de Fourier pour extraire sa valeur à une fréquence précise, on se retrouve avec des effets provenant d’autres fréquences. J’ai inclus toute cette partie car c’est la plus « mathématique » de ma thèse. J’ai présenté le phénomène et expliqué les solutions mises en place pour y remédier.
Activité de niveau terminale maths expertes : la transformée de Fourier discrète. J’ai repris et adapté un exercice trouvé dans un manuel : le calcul de la transformée de Fourier discrète de signaux très simples permet de faire manipuler les nombres complexes et les racines nièmes de l’unité. On peut envisager de prolonger l’activité par un TP informatique pour traiter un signal réel, en lien avec la physique-chimie.
4) Une petite conclusion sur le résultat obtenu par la mission spatiale.
5) Principales publications : j’ai mis les publications les plus importantes, qu’elles aient été publiées pendant ma thèse ou plus tard.
J’étais toute seule dans la salle pour la préparation d’une heure. Au début de la préparation, un inspecteur est venu m’expliquer les consignes et me remettre la question du jury. Attention, ce qu’il m’a dit n’était pas tout à fait exact : il m’a dit que j’aurais environ 25 minutes pour présenter mon dossier, auxquelles s’ajouteraient à la fin entre 5 et 10 minutes pour répondre à la question du jury. Cependant, le rapport du jury précise qu’on a le droit AU TOTAL à 30 minutes, à partager entre le temps de présentation du dossier (au moins 20 minutes) et le temps de réponse à la question du jury (entre 5 et 10 minutes). Le jury m’a rappelé les règles au début de ma présentation et c’est bien le rapport du jury qui est dans le vrai.
Concernant la préparation :
Première surprise : Aucun document n’est autorisé pour la préparation, à part le dossier qu’on a rédigé dont une copie est remise au candidat. J’avais pris des manuels de niveau lycée, surtout pour avoir le programme sous les yeux, mais j’ai tout transporté pour rien…
Deuxième surprise : Contrairement à ce que j’avais imaginé en lisant le rapport de jury, le candidat ne peut pas choisir sa question parmi les quatre ou cinq thèmes proposés chaque année. On a une unique question imposée. Mais…
Troisième (et dernière) surprise : La question correspond EXACTEMENT à une des activités niveau lycée que j’avais proposées dans mon dossier. La question était « Proposer une activité illustrant les notions d’erreur et d’incertitude en mathématiques. On précisera à quel niveau s’adresse cette activité (lycée ou L1/L2 non spécialistes) ». Donc effectivement, la question est choisie en fonction de ce que vous présentez dans votre dossier. Je suggère donc, pour vous simplifier la vie (et celle du jury) de bien réfléchir à deux ou trois activités mathématiques, chacune centrée autour d’un des thèmes qu’on trouve dans le rapport du jury, et de les présenter brièvement dans votre dossier. C’est beaucoup plus simple de développer un peu une activité à laquelle vous avez déjà réfléchie que d’en inventer une nouvelle en une heure et sans support !
Après mon heure de préparation, je rejoins la salle du jury. Une auditrice était présente.
J’avais répété plusieurs fois ma présentation, elle était calibrée pour durer 22-23 minutes, et je m’étais dit que je pourrais aller un peu plus lentement pour allonger jusqu’à 25 minutes si je n’avais vraiment pas d’inspiration pour la question.
J’ai présenté mon dossier en suivant le texte et en m’appuyant sur mon document projeté pour les illustrations et les équations, sans rien écrire au tableau. J’ai inclus la présentation des activités mathématiques, à l’exception de celle sur les erreurs et incertitudes que j’ai juste citée en disant que je la détaillerai en fin de présentation lorsque je répondrai à la question du jury. Je pense que j’avais le droit d’y répondre au milieu de la présentation, mais comme je n’étais pas sûre du temps que ça me prendrait c’était plus simple pour moi de le faire à la fin.
Au bout de 23 minutes j’ai annoncé que je passais à la question du jury (je crois que le jury était sur le point de me le rappeler). J’ai présenté et développé l’activité proposée dans mon dossier, en écrivant au tableau la modélisation mathématique de l’expérience avec les variables aléatoires. J’avais trouvé pas mal de choses à dire et du coup j’ai pris un peu trop de temps : le jury m’a rappelé qu’il fallait conclure, ce que j’ai fait du coup un peu abruptement.
Vient ensuite le moment des questions du jury.
Les premières ont porté sur l’activité que je venais de présenter. Le jury m’a demandé quelle loi on utiliserait pour modéliser la partie aléatoire de l’erreur. J’ai répondu qu’on utilise généralement une loi normale, mais qu’effectivement cela soulevait une difficulté car les lycéens n’ont pas encore vu les lois à densité, seulement les lois discrètes (heureusement j’avais relu le chapitre sur les proba de terminale la veille et déjà réfléchis à la question !). On pouvait donc soit réserver cette activité à un niveau supérieur et en profiter pour parler d’intervalles de confiance, soit présenter la loi normale aux élèves. J’ai tracé la forme d’une gaussienne au tableau pour présenter cette loi.
Le jury m’a demandé quelle loi les élèves de terminale connaissaient qui pouvait permettre d’introduire la loi normale, et j’ai répondu qu’ils connaissaient la loi binomiale qui se rapproche d’une loi gaussienne lorsqu’on a un grand nombre d’échantillons.
Là ça a commencé à déraper : le jury me demande comment à partir de la courbe de la gaussienne les élèves peuvent retrouver la valeur de P(X = k) où X suit une loi binomiale. Je commence à approximer ma gaussienne par un histogramme mais là un gros doute m’assaille : où est-ce que je m’arrête sur l’axe des abscisses ? Du coup je m’embrouille, le jury essaie de m’aider mais je ne m’en dépêtre pas, et finalement un des membres du jury propose de passer à autre chose (très bonne idée !).
On revient sur ma présentation avec une question sur les transformées de Fourier. Je ne me souviens plus du détail, mais ça ne portait pas tellement sur le contenu mathématique, plutôt sur la démarche de la thèse.
Ensuite le jury me demande comment on peut faire « sentir » les puissances d’exposant négatifs aux élèves. Au début j’ai cru qu’on me demandait comment introduire le cours sur les puissances d’exposants négatifs et j’ai commencé à expliquer ce que je fais en 4e, mais le jury a reprécisé sa question : non pas comment on définit les puissances, mais comment on fait « sentir » la valeur d’un nombre aussi petit. J’ai répondu qu’on pouvait procéder par analogie. Dans notre cas, obtenir une précision relative de 10-15 sur la valeur de notre paramètre, ça revient à être capable, en pesant un porte avion, de détecter le poids d’une mouche qui se poserait dessus.
Enfin le jury m’a proposé un exercice : il m’a demandé comment obtenir une approximation d’une solution de l’équation « x² - 2 = 35 » (ou quelque chose comme ça). Ils ont précisé que je pouvais commencer par présenter une solution experte. J’ai parlé de la méthode de Newton. Le jury m’a demandé quel serait un bon point de départ, j’ai répondu 6. J’ai illustré la méthode de Newton au tableau en traçant les deux premières étapes de la suite. Après coup je me suis dit que j’aurais aussi pu parler plus simplement de dichotomie, mais le temps était de toute façon écoulé.
Je pensais que mon incapacité à répondre à la question sur la gaussienne allait me pénaliser fortement, mais finalement les différentes activités mathématiques proposées ont dû répondre aux attentes du jury car ça a été ma meilleure note.
En conclusion je pense que pour cette épreuve il faut vraiment insister sur l’aspect pédagogique : présenter votre thèse comme si vous parliez à des jeunes de licences et surtout proposer deux ou trois activités pédagogiques en lien avec vos recherches qui n’ont pas besoin d’être compliquées mais pour lesquelles vous connaissez bien le contexte : pour quel niveau, pendant quel chapitre, quels sont les prérequis, quel est l’objectif de l’activité, comment se déroulera l’activité ?
18.5